Un patrimoine avorté : la statue d’Esclarmonde
Écrit par René Soula 18-02-2009
Esclarmonde contre Jeanne d’Arc.
Un patrimoine avorté : la statue d’Esclarmonde
C’était vers 1909, il y a cent ans. Dans la perspective d’une revanche sur l’Allemagne, on s’agitait à Paris pour faire canoniser Jeanne d’Arc la bonne Lorraine. Les Méridionaux du Félibrige, qui voulaient quant à eux commémorer le déclenchement de la Croisade contre les Albigeois (1209) cherchaient une héroïne à opposer à Jeanne.
On ne trouva pas mieux qu’Esclarmonde, sœur du comte de Foix, cathare avérée, dont le seul titre de gloire avait été de se faire rabrouer vertement en 1207 par un moine, lors d’une rencontre entre dignitaires d’Eglise et Bons Hommes cathares : “ Madame, retournez à votre quenouille. Il ne vous sied pas de prendre la parole dans une telle assemblée ! “
La Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts appuyée sur son lobby parisien (Gabriel Fauré entre autres) et l’Escolo de Mountsegur, avec Prosper Estieu, songèrent à installer une statue d’Esclarmonde sur les allées de Villote à Foix. Ils confièrent le projet à un sculpteur local Grégoire Calvet. Il en reste quelques mauvaises cartes postales :
Esclarmonde de face (étude) |
Esclarmonde de profil (étude) |
Il fallait aussi tirer Esclarmonde de l’obscurité, la faire connaître et reconnaître. Un journaliste, Louis Palauqui, rédigea sa biographie inspirée de Napoléon Peyrat, le découvreur des cathares (Histoire des Albigeois, t.1, 1870), dont Prosper Estieu était un disciple. Las ! Le comte Bégouen, félibre, en fit un commentaire assassin :
J’ai connu, il y a quelques années en province, un brave homme, officier d’Académie, qui se croyait très savant et qui jouissait dans son petit cénacle de la réputation d’être un érudit. Malheureusement pour lui il avait appris l’histoire dans Alexandre Dumas père, les romans soi‑disant historiques et les mélodrames. Il ne connaissait Richelieu que par les « Trois Mousquetaires » et Marguerite de Bourgogne que par la « Tour de Nesle ». On le lui fit remarquer un jour. Il riposta avec aigreur qu’il savait, tout comme un autre, remonter aux sources et il montrait triomphalement dans sa bibliothèque le vieux volume relié en basane contenant l’édition des Mémoires de d’Artagnan.
J’ai bien peur qu’une mésaventure de ce genre ne soit arrivée à ceux qui viennent de s’emballer un peu à la légère, an sujet d’Esclarmonde de Foix. Parmi eux se fait remarquer M. Palauqui.. Comme don Quichotte, ayant saturé sa cervelle de romans de chevalerie, il part en guerre avec une audace toute juvénile. Esclarmonde est sa Dulcinée de Toboso. Vous comprendrez donc sans peine, que je m’occupe tout d’abord de ses moulins à vent.
M. Palauqui manque quelque peu de sens critique, ce qui est fâcheux pour quelqu’un qui veut faire figure d’historien.Son tort a été de considérer comme paroles d’Evangile tout ce qu’a écrit Napoléon Peyrat et de n’avoir pas eu assez d’indépendance d’esprit pour passer au crible d’une sévère critique les récits colorés et vibrants, mais trompeurs du chantre des Albigeois….
Ai‑je besoin maintenant, mon cher ami, de vous donner mon avis sur le monument que l’on a l’intention, parait‑il, d’élever à Foix à Esclarmonde. Il me semble qu’après tout ce que je viens de dire ma conclusion s’impose : ni l’histoire ni la légende ne légitiment un pareil projet ; je ne comprends pas que cette idée bizarre ait pu prendre consistance. Il doit y avoir des dessous que j’ignore et des considérations locales ou politiques dont le sens m’échappe….
(Lettre du comte Bégouen à Prosper Estieu)
Entre-temps l’abbé J.M.Vidal, historien sérieux, entraînant derrière lui une presse catholique hostile, portait le coup de grâce. Et le projet fut enterré.
C’est ainsi que les promeneurs des allées de Villote à Foix furent privés ( à jamais ? ) de la statue d’Esclarmonde inondant le monde de ses vérités cathares, du haut du pog de Montségur.
Esclarmonde sur son pog. Projet