Un patrimoine linguistique : le gascon du Volvestre

Écrit par P. Bec    05-04-2009

Le Volvestre n’a pas d’unité linguistique. Il est une zone de contact entre le gascon et le languedocien.

Du point de vue linguistique, le Volvestre, qui tire évidemment son nom de la rivière du Volp, est tributaire de sa situation historico-géographique. Coincé qu’il est entre le Toulousain, le Couserans et le Comminges, aujourd’hui partagé entre deux départements, il participe peu ou prou de diverses entités dialectales. Disons en gros que les parlers du Volvestre et de ses abords immédiats font partie de ce qu’on peut appeler le bas-gascon toulousain, qui fait lui-même partie de la zone-tampon,  plus ou moins large, tout le long de la Garonne entre le gascon et le languedocien.

Mais qu’entend-on par gascon ? Quel est son espace ?

On sait que le gascon occupe une place à part dans l’ensemble occitan. Son domaine (qui est celui d’une langue aquitanique antérieure) est solidement délimité par les frontières naturelles que sont l’Ariège, la Garonne, l’Océan Atlantique et les Pyrénées, et ce depuis l’Antiquité.

Pour ce qui est du Volvestre proprement dit, ses parlers sont en gros caractérisés par une  phonétique franchement gasconne et une flexion verbale (conjugaison) de type languedocien.  Ils ont en effet, avec des nuances, tous les traits  du gascon. Nous allons les examiner en les confrontant à ceux du languedocien voisin dont on trouve déjà des manifestations dans les parlers de La Bastide-de-Besplas, Montbrun, Daumazan, etc… Dans les lignes qui suivent, le premier des termes-témoins est gascon, l’autre languedocien.

Phonétique

1/  Le gascon comme le castillan réduit dès l’origine le /f/ étymologique à une aspiration :

hilh / filh « fils » ; hemna / femna « femme » ; haria / farina « farine », etc…

2/ Comme le portugais, la plus grande partie du gascon a perdu le /n/  entre voyelles :

lua / luna « lune », ua / una « une »,  garia / galina « poule », jolh / genolh « genou », etc…

Le Volvestre est à ce sujet partagé, la ligne de partage (isoglosse) suivant grosso modo la vallée du Volp : ainsi l’évolution gasconne est attestée à Lavelanet,St-Christaud, Le Plan, Fabas, Tourtouse, etc…
alors qu’on retrouve le /n/ languedocien étymologique à Saint-Julien, Gensac, Montberaud, Sainte-Croix, etc.

3/ aqueth bèth òme / aquel bèl òme, aquera bèra hemna / aquela bèla femna  « ce bel homme, cette belle femme ». C’est là un autre trait atavique du gascon, généralisé dans tout le Volvestre.

Le double /LL/ du latin aboutit à / th~t/  en finale de mot (BELLU > bèth) et à /r/ entre deux voyelles (BELLA > bèra) ; alors que le languedocien a le même aboutissement à /l/ dans les deux cas (bèl ~ bèla).

On aura donc : aqueth / aquel ; castèth / castè ; martèth / martèl ; aquera /aquela, etc…

4/ cama / camba « jambe » ; grana / granda . Le gascon, dans son fonds traditionnel, réduit à [m] et à [n] les groupes romans MB et ND restés tels quels en languedocien et dans l’ensemble de l’occitan :  MB : cama / camba « jambe » ; paloma / palomba « palombe » ; plomar / plombar «plomber » ;

ND : grana / granda «  grande » ;  brana / branda « bruyère » , etc. Le Volvestre est là bien gascon.

5/ bédé / béze « voir » , awdèt / awzèt « oiseau ».

Là aussi le Volvestre possède un ouest et un est, où l’on retrouve le traitement phonétique languedocien.
On aura donc: südà « suer » ;  krédé « croire » ; rradin « raisin » ; pladé « plaire » ; pudun « poison », etc… à Rieux, Gensac, St-Christaud, Le Plan, Fabas, Tourtouse,
mais : süzà, krézé, rrazin, etc… à Montesquieu, Lahitère, Sainte-Croix.

6/ lawà / labà « laver ».

Un trait caractéristique du gascon (sauf en gros le Béarn) est la présence d’un /w/ entre deux voyelles, contre le /b/ du languedocien : lawà « laver » ; lewà « lever » ; kantawo « chantait » ; awé « avoir » ; iwèr « hiver » , face à : labà, lebà, kantabo, abé, etc.
Le Volvestre a majoritairement le type lawà (Montesquieu, Lahitère, Sainte-Croix, etc…), mais aussi, tout proche, le type labà ( La Bastide de Besplas, Montbrun).

7 / prat /prat’. Une particularité des parlers montagnards du Comminges et du Couserans est la mouillure (palatalisation), du -t final roman : soit prat’ « pré », kantat’ « chanté », drumit’ « dormi », bengüt’ « venu », akét’, bèt’ « beau », kastèt’ « château », etc., mouillure qui peut être réalisée carrément en /tch/ (pratch, kastètch). Dans l’ensemble, le Volvestre ignore le phénomène, mais on le retrouve dans sa bordure sud-ouest (Tourtouse, Fabas, , Cérisols, etc…).

Quelques formes grammaticales

Le verbe.  Le système verbal des parlers du Volvestre, comme tous ceux du bas-gascon « toulousain », est de type roman-languedocien : soit des imparfaits de l’indicatif et des conditionnels en –ia : type aviá /abyo/ « il avait » ; /tengyò/ « il tenait » ; /mentyò/ « il mentait » ; /cantariá/ « il chanterait » ; /bézéryò/ « il verrait », etc… Il ignore  donc les désinences typiquement gasconnes en – èva (avèva, tenguèva) pour l’imparfait, et -é pour le conditionnel (cantaré « il chanterait », vederé « il  verrait »). De même les parfaits (passés simples) sont du type « toulousain »  en /èk/ (avèc, tenguèc) et non, « à la gasconne », en -oc (avoc, tengoc), qui apparaissent dès le Gers.

L’article.

L’article défini revêt trois formes : le type pan-occitan, majoritaire : lo, la, le type « montagnard » : eth, era, et le type « toulousain » le, la .

Le Volvestre a généralisé l’article le, la : le pair « le père », la mair « la mère », sauf dans sa partie saint-gironnaise  (Cérizols, Fabas, Tourtouse) qui a l’article « montagnard » eth,  era (eth òme « l’homme », era hemna « la femme »)

Le possessif.

Dans sa large majorité le possessif masculin gascon est men, ton, son « mien, tien , sien » # (aqueth ostau qu’ei men « cette maison est à moi »). Toutefois, une partie du domaine  connaît un possessif de type languedocien : mieu, tieu, sieu (aqueth ostau qu’ei sieu « cette maison est à lui »).

Là encore, le Volvestre est partagé en deux : on a par exemple le type gascon men à Rieux, Goutevernisse, Saint-Christaud, Saint-Michel, Cérizols, etc… et le type languedocien  mieu ou meu à Montesquieu, Montberaud, Sainte-Croix, Fabas, etc…

On dira donc, en conclusion, que le Volvestre présente malgré tout une relative unité dialectale (les minimes divergences n’empêchant pas l’intercompréhension spontanée, même avec les parlers languedociens voisins), à l’exception d’une étroite partie où apparaissent quelques traits montagnards du Saint-Gironnais.

 

Pour en savoir plus :

P. Bec, Les interférences linguistiques entre gascon et languedocien dans les parlers du Comminges et du Couserans, Thèse, Paris 1968.